Une porte qui
s'est ouverte, et celui-là qui est entré, le menton enfoncé dans sa large
flanelle bleue, et celui-là qui est entré avec une grosse cruche pleine
d'eau
dans la fumée des cigarettes, tandis que changent les visages -sans dire mot- sur une partie de la porte
ou dans le haut d'un angle.
Les ouvriers avec pelles et pioches de déblaiement. Bien du travail
encore. Du travail à recommencer. Tout le temps à recommencer.
Ils s'attacheront les lacets et les brassards. Celui-ci dans un coin, avec ses lunettes de
presbyte - sur les verres, en miniature, une paire de fenêtres poussiéreuses
est venue se dessiner.
Cela fait des années qu'il surveille ainsi
notre route, comme un phare dans la plaine retournée par les obus.
Rappelle-toi.
Quand tu creuses profondément, tu trouves la lumière.
Celui-ci, aux
yeux naufragés dans ses paumes,
Celui-ci, aux
yeux qui trouent le mur,
Les tables, les
verres. Quand tu creuses. Rappelle-toi.
Mon beau, mon brave, comme le monde est fort…
Mon beau, mon brave, comme le monde est fort…
Le bruit que font
les trains, de l’autre côté des nuits,
Et les fleuves,
roulant leurs eaux jusqu’à la mer,
Et celui-là, qui
enferme le rythme de la mer dans sa chaussure,
Et celui-là qui
fend la nuit en deux pour passer sa tête au milieu,
Mettant ses
paumes en cornet pour y crier :
C’est nous !
C’est nous ! Rappelle-toi cela quand tu creuses.
Il y a encore
bien des ténèbres, derrière les voix.
Les grévistes ont
découpé un grand morceau de ciel
Et l’ont mis en
lucarne dans les mines à charbon.
Un Vive quelque
chose a jailli dans la ville,
Et ils ont laissé
le cercueil au milieu de la route.
Ce Vive, par la
suite, ils le cachèrent dans le creux de leurs aisselles,
Comme de ces
ordres du jour qu’on glisse en dessous des portes.
Dès lors ils
prirent avec eux la mort en criant Vive !
Quand vinrent les
grandes nuits aux pieds coupés, ils criaient Vive !
Et quand c’était
la terreur qui creusait les ténèbres, ils plantaient des arbres. C’est
nous ! C’est nous !
Souviens-toi de
ne pas laisser le cercueil en travers de la route.
Ce soir-là, ils
nous avaient pris tous nos rêves.
Nous revenions,
le sac vide et pesant de tout le poids du monde
et de notre responsabilité.
Tout était à
recommencer. Marthe était restée un peu en retrait, pour ôter le gravier de sa
chaussure.
Nous savions
combien ses épaules étaient voûtées, faute de ne pouvoir soutenir tant de ciel
brut, tant d’étoiles, tant de fenêtres, tant de bonheur d’avant, qui avait
disparu, avait été et s’en était allé.
Le reste n’était
que faux-semblants.
Au bout de la ville interdite, là où ne parvenaient ni la trompette des
casernes ni les proclamations qu’on sait, précisant ceci ou cela, notre cité
ouvrait ses portes – un tel espace, hors du monde ! – et nous étions tous
là. Une table de bois avec du pain.
Une goutte d’eau,
tout le ciel.
Et la beauté,
oui, de ce monde. Un homme sous les arbres, pleurait de joie, car il aimait –
cet homme-là était plus puissant que la mort. C’est pour cela que nous
chantons.
Car les lèvres du
monde s’ouvrent au moment où nous l’embrassons.
Personne
n’interrompra notre chanson. Nous chantons, nous répétons :
LE MONDE EST BEAU
.
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